Succédant à la rétrospective « Scream Queer » qui, lors du précédent NIFFF, mettait en avant les représentations LGBTQIA+ dans le cinéma de genre, celle intitulée « Female Trouble » a exploré lors de la 22e édition du festival neuchâtelois de multiples facettes de ces figures féminines souvent bien mal mises en valeur dans les œuvres cinématographiques fantastiques et dont les plus iconiques se sont formées à la marge. Rapide tour d’horizon d’une sélection éclectique de 20 longs-métrages issus de nombreux pays, allant du muet jusqu’en 2022.
C’est souvent l’histoire d’un arbre qui cache une forêt emplie de vide et d’un silence complice. À l’instar de Ripley incarnée par Sigourney Weaver dans la mémorable suite Aliens (1986) de James Cameron, diffusée en open air en ultime séance de l’édition 2023 du NIFFF, les héroïnes fortes prenant en main leur destin se sont révélées rares dans le cinéma en général, mais plus significativement encore dans le fantastique, le polar, l’horreur ou l’épouvante, dans lesquels elles font souvent office de victimes par excellence. « La majorité des films de genre est réalisée par des hommes et traduit, de fait, à l’écran le point de vue patriarcal de nos sociétés actuelles, contextualise Mónica García Massagué, directrice de la Fondation Sitges (Festival international du film fantastique de Catalogne), lors de la rencontre organisée dans le cadre de la rétrospective. Nous sommes les gardiens du temple et nous avons donc une responsabilité par rapport à ce que nous sélectionnons dans la découverte de ces nouvelles voix.»

Girl Power
Tout comme le festival catalan, le NIFFF a dû batailler cette année afin de proposer le maximum d’œuvres aussi bien portées par des personnages principaux féminins que réalisées par des femmes dans une sélection qui, de façon systémique, demeure essentiellement masculine. Ainsi, The Pod Generation de Sophie Barthes en ouverture, Animalia de Sofia Alaoui, Perpretator de Jennifer Reeder, Superposition de Karoline Lyngbye, The Cuckoo’s Curse de Mar Targarona ou Tiger Stripes, premier long-métrage d’Amanda Nell Eu récompensé du H.R. Giger « Narcisse » Award par le jury du festival, apportaient leurs nouvelles visions dissonantes de réalisatrices au NIFFF 2023. La bonne idée aura été la proposition parallèle de la section « Female Trouble » et de ses 20 longs-métrages divers et variés, chacun apportant leurs lots de subversions par le féminin et les thématiques qu’ils invoquent.
Que l’on fut parmi le couvent de religieuses possédées du Mère Jeanne des Anges (1961) du Polonais Jerzy Kawalerowicz, suivant les merveilleuses facéties des Petites Marguerites (1966) de la Tchèque Vera Chitylova ou emprisonnés avec l’implacable Meiko Kaji de La Femme scorpion (1972) de Shun’ya Ito, il y avait de quoi être servi afin de renverser l’ordre traditionnel des hommes sur les femmes. Le muet était également à l’honneur avec une grappe de courts-métrages où des jeunes femmes sont intentionnellement vecteur de chaos dans la société. Assez cocasse mais non moins pertinent dans cette sélection, le serial muet italien Filibus – Le Mystérieux Pirate du ciel (1915) de Mario Roncoroni présente une jeune femme à la tête d’une bande de cambrioleurs se déplaçant en dirigeable afin de commettre leurs méfaits. Si certaines séquences semblent parfois trop rocambolesques, elles ouvrent la voie au travestissement de son héroïne. Au gré de l’action, celle-ci incarne aussi bien faussement la proie facile d’une jeune bourgeoise superficielle que du fameux roi de la cambriole Filibus avec une fausse moustache et une casquette. Une confusion des genres que l’on retrouve pareillement en 1971 dans le wu-xia-pian Lady with a Sword de la réalisatrice Kao Pao-shu, durant des premiers coups d’épée virevoltants échangés avec maestria entre l’actrice Lily Ho et le meurtrier de la sœur de son personnage.

Habea Corpus
L’autre enjeu majeur qui ressort de cette rétrospective est le rapport au corps. Le fantastique permet, bien sûr, de pousser une transformation totale vers l’animal, qu’il soit un fauve dans La Féline (1942) de Jacques Tourneur ou un serpent dans Nagina (1986), blockbuster bollywoodien de Harmesh Malhotra. Dans ces deux exemples, leurs héroïnes se trouvent piégées de leur capacité surnaturelle à se métamorphoser, mais pour un combat personnel afin de préserver ou conquérir l’être aimé. Lorsqu’intervient l’inévitable question de la représentation du viol à l’écran, qui porte encore le genre de pure exploitation du rape and revenge avec, entre autres, The Nightingale (2018) de Jennifer Kent, la réalisatrice espagnole Carlota Pereda reste mal à l’aise vis-à-vis de ce biais on ne peut plus destructeur afin de redonner le pouvoir aux femmes : « C’est encore donner trop d’importance aux hommes dans la caractérisation des femmes. » En signant Piggy (2022), cette dernière porte un regard fort et compatissant aux victimes de harcèlement, dont les corps ne correspondraient pas aux normes, y compris dans un tout petit village perdu en Espagne dans un film brut et où la morale repose sur le fil du rasoir.

« Ce ne sont pas juste des femmes que nous représentons, mais des êtres humains à plusieurs dimensions, et non pas des stéréotypes, poursuit la cinéaste. Mais aussi quels genres de femmes nous représentons. » Dans un versant plus psychologique, l’imperfection supposée du corps pousse Marina de Van à le changer par elle-même en se mutilant à l’extrême avec Dans ma peau (2002). Comme l’inimitable Possession d’Andrzej Zulawski, il présente un personnage principal féminin dont la psychologie échappe à la compréhension des hommes. Ces actes les plus inexplicables répondent à un irrépressible besoin intérieur et font exploser les conventions de ce que la femme serait censée représenter : fille, épouse ou mère. De la Serial Mom (1994) de John Waters à la présentatrice du JT de The Anchor (2022) de Jung Ji-yeon, le territoire de l’esprit n’est pas non plus un sanctuaire où se réfugier. À l’inverse, d’autres parmi les forces de l’ordre auront su garder la tête sur les épaules, qu’elle soit confrontée au tueur en série du Silence des agneaux (1991) de Jonathan Demme ou les gangsters et politiciens corrompus hongkongais de Yes, Madam (1985) de Corey Yuen.
« J’aimerais dire que j’ai été influencée par beaucoup de femmes réalisatrices, mais je ne l’ai pas été, a déploré Carlota Pereda. Je le fus plus par des écrivaines ou des musiciennes. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’en ai découvert, en regardant par moi-même. » Bien que les femmes cinéastes doivent adopter, parfois malgré elles, faute de contre-exemples, les codes d’un système cinématographique essentiellement masculin afin d’y gagner leur place, l’autrice et critique Anna Bogutskaya du podcast anglais The Final Girls remarquait à l’inverse qu’il y avait eu peu de grands bouleversements du fait que le cinéma mainstream finissait par avaler in fine ces aberrations engagées et les reproduisait en les vidant de leur substance féministe initiale. Ainsi que le soulignait la réalisatrice de Piggy, cela changera fondamentalement lorsqu’enfin il ne leur sera plus posé la question de ce que cela fait d’être une femme cinéaste, pour simplement les interroger en tant que cinéastes, tout court, du cinéma de genre.


Le Festival international du film fantastique de Neuchâtel 2023
22ᵉ édition du festival du 30 juin au 8 juillet 2023
La rencontre Female Trouble devrait être disponible en intégralité sur la chaîne Youtube du NIFFF à la rentrée.