Dans la saison 2 de L’Amie prodigieuse, adaptation des bestsellers d’Elena Ferrante, deux beaux-frères en viennent aux mains devant leurs petits garçons. Ce n’est pas tant la violence des adultes qui nous trouble, que le regard terrifié des petits, et leurs pleurs. Les voilà arrachés à cet instant à leur innocence pour plonger dans les horreurs du monde des grands. Aujourd’hui, avec un dossier consacré aux gamins à l’écran, nous voulons leur redonner un bout d’innocence, de liberté. Car s’il s’agit pour ces gosses de se confronter parfois à la dictature, à l’abandon, aux violences, au racisme, bref à tout ce que l’humain fait de cruel, voilà pour nous l’occasion de leur redonner des visages, des histoires. Chacun de ces enfants, fictionnels (sauf pour Récréations, film documentaire de Claire Simon), est pourtant un bout de notre réalité. Au risque de rappeler une banalité : ils incarnent ou ont incarné l’espoir.
Et si nous consacrons aujourd’hui les enfants, profitons-en pour rendre hommage à celles qui n’en veulent pas, ou qui ne peuvent pas en avoir. Rappelons que s’il est souvent magnifique de donner la vie, il est tout aussi précieux de refuser de le faire. Oui, rendons-leur hommage, car en 2022, elles ne peuvent plus avorter librement dans certains coins des États-Unis, en Pologne, à Malte, au Suriname. L’avortement est quasiment inaccessible (sauf en cas de danger pour la mère) au Sri Lanka, en Côte d’Ivoire ou le Liban. Il n’est autorisé qu’en cas de viol au Brésil. Et rien n’assure qu’en France, ce droit soit garanti encore longtemps. Le documentaire Histoire d’A (voir p.134) et la récente adaptation de L’Événement par Audrey Diwan rappellent à quel point cette lutte clandestine fut douloureuse, mortelle parfois, et surtout dictée par le joug patriarcal. Ce même joug qui prive les enfants de leur innocence. L’Église catholique – et les Évangélistes américains –, toujours aussi rétrograde sur la question, ferait bien de relire la Bible. Car c’est paradoxalement dans l’Évangile selon Matthieu (celui-là même que l’iconoclaste Pasolini racontait) que se trouve le plus bel appel à la liberté. « [Jésus] déclara : Amen, je vous le dis, si vous ne changez pas pour devenir comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux » (Matthieu, 18, 3-5). Alors, pour atteindre le Paradis, redevenons des enfants, faisons fi des conventions et des dogmes, redécouvrons la beauté d’une fleur ou d’un lever de soleil. Revoyons le monde comme au premier regard. Exactement comme dans The Tree of Life de Terrence Malick.