andreiroublev-dvd-rL’intrigue

Dans la Russie XVe siècle soumise à des princes cruels et ravagée par les incursions des Tatares, l’amour et la foi du moine Andreï Roublev sont mis à rude épreuve. Il a entrepris de peindre sur les murs des églises ses rêves d’un monde meilleur et se met en route vers la capitale où il est appelé pour décorer la cathédrale. Mais la barbarie, l’horreur, la misère auxquelles il se heurte au cours du voyage sont telles que Roublev décide de ne plus peindre et s’enferme dans le silence…
Épique, sauvage, monumentale, cette fabuleuse histoire chargée d’amour et d’espérance est celle de l’un des plus grands peintres de tous les temps.


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Chronique d’un curé de campagne


Adoubé par l’Occident, soupçonné par le Parti, le premier film d’Andreï Trakovski fit de son auteur un étranger dans son propre pays. Avec sa poésie incontestable reconnue à l’international en décrochant le Lion d’or à Venise, L’Enfance d’Ivan plaçait d’office le cinéaste naissant dans la ligne de mire des inquisiteurs communistes de l’Union soviétique. Jusqu’à son exil forcé, Tarkovski fut sans cesse pris en étau, tiraillé entre sa volonté irrépressible de s’exprimer à travers le Septième art, mais également de pouvoir plaire suffisamment aux instances politiques russes afin d’exercer à nouveau. Or, si la malice faisait partie du vocabulaire de Trakovski, il n’en était rien du compromis ; mais pas de la tromperie. Le projet qu’il s’attribua pour la suite de sa carrière était à la fois osé, ambitieux, prétentieux et correspondait parfaitement à sa vision du monde et deviendra l’œuvre référentielle pour tout son cinéma.

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Pourquoi Andreï Roublev ? À quoi bon raconter l’histoire d’un obscur moine moyenâgeux, dont le seul mérite est d’avoir peinturluré quelques lieux du culte chrétien en Russie ? La question à de quoi donner le vertige, lorsque le jeune cinéaste vient soumettre aux autorités culturelles sa volonté de retracer l’itinéraire de cet artiste peintre d’icônes sacrées, dans une fresque immense – pour un second long-métrage. Dans le doute, et sûrement pour le mettre au défi afin de le voir échouer, le projet du scénario d’Andreï Roublev passe à travers les mailles de la censure d’État. Au travail depuis la fin du tournage de L’Enfance d’Ivan, Tarkovski s’ajoute les mains d’un autre Andreï, Kontchalovski, fidèle collaborateur de l’ombre sur ses précédentes réalisations, pour s’atteler à la tâche d’écrire la vie d’Andreï Roublev sur le grand écran. Toutefois, leur mission n’a rien de celle d’historiens.

Le talent d’un artiste doit-il répondre uniquement à ses aspirations envers un amour et une beauté célestes ou se plier aux exigences d’un monde des hommes fait de violence et d’obscurantisme ?

Ce qui se noue au cœur de son deuxième long-métrage est une véritable quête de l’alter ego pour Andreï Tarkovski. Et celle avec Roublev est triple. D’abord, la plus évidente sans être insignifiante, est celle du prénom en commun. Ensuite, en vient une plus pernicieuse. Contrairement à celles des grandes figures de ces époques sombres, les traces de la vie de ce moine étaient pour le moins parcellaires, voire inexistantes. Seules ses œuvres laissées sur les murs et le voutes des églises du pays demeurent les empruntes immuables de son passage. Une vie d’autant plus vierge que le scénario pouvait combler en toute liberté. Quel cinéaste ne rêverait pas de mettre en scène un personnage historique dont la vie reste à écrire ? Libéré du carcan du réalisme socialiste, qui lui aurait imposé de s’en tenir strictement aux saintes écritures historiques, Tarkovski put distiller à sa guise dans son personnage ses propres doutes et interrogations, profondément blasphématoires en Union soviétique.

roublev 2Le talent d’un artiste doit-il répondre uniquement à ses aspirations envers un amour et une beauté célestes ou se plier aux exigences d’un monde des hommes fait de violence et d’obscurantisme ? Présenté comme cela, le parallèle entre la rigoriste Union soviétique et cette fin du XIVe siècle filmée par cet austère scope en noir et blanc saute aux yeux. Il est évident que la seule évocation d’Andreï Roublev selon Tarkovski aurait pu mener le cinéaste en prison (ou pis encore) pour avoir eu le culot de remettre en cause l’ordre stalinien établi. Cependant, la question se pose encore aujourd’hui et se posera toujours sur la relation complexe entre un artiste et son travail. Le moine Roublev de Tarkovski ne questionne jamais sa foi en Dieu. Il désespère seulement de la perte de la croyance de ceux qu’il côtoie. Seul son art le rapproche de l’Éternel. Mais ces meurtriers, ces infidèles, ces inhumains méritent-ils cet art de couleurs et de lumière qu’ils exigent par orgueil, mais ne comprennent pas ?

Comme pour la plupart des ses films suivants, Andreï Tarkovski laissait volontiers ses réponses au mystique, à la croyance. Sa troisième incarnation à travers le personnage de Roublev se révéla sous les traits d’Anatoli Solonitsyne. Malgré la dimension colossale de sa fresque qu’il tourna de novembre 1965 à mai 1966 – et dont le montage final oscillera entre les 3h25 aux 3h définitives –, le cinéaste insista pour qu’un inconnu soit son Andreï Roublev. Plus encore que le moine avec lequel Tarkovski faisait partager sa philosophie, Anatoli Solonitsyne fut à l’affiche de chacun de ses long-métrages. Son ombre planera également sur Nostaghia et Le Sacrifice : leurs rôles principaux lui étaient destinés, mais Solonitsyne mourut en 1982. Parmi les fidèles du cinéaste, Nicolaï Burliaïev qui incarnait le jeune héros de son premier film revient dans l’ultime chapitre du film. L’enfant terrible qu’il interprétait en 1962 est cette fois un fondeur de cloche dont le père est censé lui avoir transmis son savoir d’orfèvre ; et si la cloche est réussie, le jeune homme que personne n’écoute sur le chantier pourra garder sa tête. Vis-à-vis de son père poète Arseni, l’allégorie au cinéaste que personne n’écoute et jugé sur l’œuvre achevée, n’est pas anodine (ainsi que l’explique parfaitement Eugénie Zvonkine dans ses passionnantes et éclairantes interventions dans les bonus de ces nouvelles éditions).

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Il en sera de tradition dans son cinéma : Andreï Roublev vient avec son lot d’images marquant notre esprit pour longtemps au fer rouge. L’économie du plan chez Tarkovski se traduit dans la première partie du film par une relative sobriété du mouvement en comparaison de L’Enfance d’Ivan. Chacun des panoramiques plans nous dessine le paysage infini d’un monde glacial, immobile, éternel, et pourtant en proie au chaos. Le chaos est ce qui bouge dans ces tableaux : un bouffon, des païens, des barbares. L’invasion tatare de la ville de Vladimir amorce la seconde partie avec une explosion de la violence à l’écran. L’effarement cède parfois à l’insoutenable pour le spectateur, notamment avec des plans impliquant des animaux, preuves de l’intransigeance de Tarkovski. Néanmoins, une vingtaine de minutes seront amputées du premier montage intitulé La Passion d’Andreï Roublev. Un remontage validé par le cinéaste en personne, mais qui se verra interdit par la censure pendant deux ans en Russie et aboutira à une sortie restreinte (la première version est disponible sur le Blu-ray, à part dans les suppléments, dans une qualité peu avenante). Avec Solaris en préparation, le divorce semblait pourtant déjà consommé. Malgré tout son acharnement, les films d’Andreï Tarkovski n’arriveraient pas si facilement à saper l’idéologie mécanique qui emprisonnait à cette époque l’âme des descendants de Novgorod.

Andreï Roublev d’Andreï Tarkovski est disponible en version restaurée dans le coffret Blu-ray intégrale édité par Potemkine Film, en partenariat avec Agnès B. Disponible en avance à la boutique Potemkine – sortie le 30 janvier.

 


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