On pourrait trouver fascinant que la mythologie westernienne se soit exportée partout, mais au fond, c’est une histoire vieille comme le monde, de conquête, de peuples massacrés, chassés ou soumis. Le film néo-zélandais Utu de Geoff Murphy en rend formidablement bien compte, quête vengeresse d’un guerrier maori dans la colonie britannique. Du cinéma en colère, beau et désespéré.

 

Utu confirme qu’il y a des territoires de cinématographie – territoires géographiques même – encore peu explorés. Passant globalement sous les écrans radar, le cinéma néo-zélandais a trouvé en ce film, sa plus grosse production alors mise sur pied, un visage sur la scène internationale. Au travers d’une quête de vengeance, qui lui donne son titre en langue maorie, le récit confronte la perspective d’un bilan sur la violence de l’ère coloniale durant l’empire britannique face à une fresque d’aventure largement influencée par le western américain – encore une histoire de territoires volés. Utu semble comme égaré dans sa décennie – souvent placée sous le signe d’une action jubilatoire –, car il possède davantage la viscéralité plus typique des films des années 70 : physique, évidemment, mais aussi morale.

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La colère du film de Geoff Murphy (déjà auteur de Goodbye Pork Pie, grand succès néo-zélandais, et futur réalisateur du Dernier survivant, sublime film post-apocalyptique) est métaphysique, faisant s’embraser non seulement la psyché de son personnage principal, le guerrier Te Wheke (Anzac Wallace), mais aussi celle de son rival occidental Williamson (Bruno Lawrence) empruntant lui aussi le sentier de la vengeance ; enfin, elle dicte le ton du filmage, qui ne se perd pas dans la beauté des steppes néo-zélandaises, privilégiant justement un contraste avec l’apparence idyllique des terres de ce nouveau monde, lui aussi déjà bien vite corrompu.

Utu semble comme égaré dans sa décennie – souvent placée sous le signe d’une action jubilatoire, car il possède davantage la viscéralité plus typique des films des années 70 : physique, évidemment, mais aussi morale.

Il y a néanmoins un anti-manichéisme absolument saisissant dans Utu : jamais l’objet politique du film ne cède à la simplicité, et si le film a quelques figures archétypales qui servent de repères moraux ou amoraux (le colonel britannique), chaque antagoniste trouve dans sa quête de justice un élément qui contredit sa légitimité. La vengeance a non seulement deux visages dans Utu, mais parfois trois ou quatre. Te Wheke est un alliage de cultures et de contradictions, ce qui motive justement sa frénésie meurtrière, tantôt prêchant du maori, tantôt la Bible, tantôt Shakespeare.

Utu (1983) Directed by Geoff Murphy

Plus encore, c’est le portrait d’une culture unique (les maoris) contaminée par un occident qui répand sur elle le même schéma colonial qu’aux Amériques : logique, pour Geoff Murphy, qu’Utu se fasse en écho du western. On repense forcément, dès le début, au Soldat bleu de Ralph Nelson. Mais à l’heure des risques de l’américanisation du cinéma néo-zélandais, Utu apparaît comme vital, pour la cohérence et la singularité de son style (entre la fresque et film tribal) mais aussi son amalgame de langues (entre l’Anglais et le Maori). Dans cette vision d’extermination et de colonisation des natifs, on a par ailleurs vite fait de penser que le film a largement influencé Michael Mann et son Dernier des Mohicans, dans un cinéma revenant à l’instinctif et l’immersif – la violence des coups de feu, éjectant les hommes, y fait également songer. Utu se télescope avec le grand cinéma, celui dont il puise sa force autant que celui qu’il à son tour a influencé. Par ailleurs, il n’est pas exclu de percevoir le plus tardif L’Âme des guerriers (1994) de Lee Tamahori comme un épilogue contemporain d’Utu, où la culture maorie demeure encore en péril. Et pour cause, puisque le titre original de L’Âme des guerriers n’est autre qu’Once were Warriors : « Autrefois, il était des guerriers » – qui pourrait, à peu de chose près, se dire : « Once we’re Warriors – Autrefois, nous étions des guerriers. »

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À sa sortie, en 1983, Utu avait contribué à revitaliser la culture maorie dans la mémoire collective, découvrant dans le film une légende ambigue mais dont les enseignements sont riches, encore à l’heure actuelle. Quasiment invisible pendant près de 35 ans, sévèrement endommagé, le film trouve dans sa version Redux (un nouveau montage, légèrement plus court, supervisé par Geoff Murphy, le chef opérateur Gaeme Cowley et le monteur Michael Horton) un souffle nouveau, épique, conforme à la vision de son auteur comme au guerrier Te Wheke. Une manière élégante et touchante de rappeler que même le plus enragé des films est fragile ; ou que même le plus fragile des films est susceptible d’être immortel.


Utu
Un film de Geoff Murphy
avec Anzac Wallace, Bruno Lawrence, Wi Kuki Kaa
1983 – Nouvelle-Zélande

édité par La Rabbia en coffret DVD/Blu-ray le 7 mars 2018

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L’édition vidéo est accompagnée d’un livret de 40 pages revenant sur la production au travers des témoignages de Geoff Murphy, de Grame Cowley, ainsi que d’autres textes notamment de Starfix. Un documentaire making-of d’époque (47 min.) de Gaylene Preston est également proposé pour pénétrer pleinement l’histoire d’une production hors-normes dans le cinéma néo-zélandais.

Crédits images : © 1983 Utu Productions, New Zealand Film Commission / © 2018 La Rabbia


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