Honneurs, hommages. Si le Champs-Élysées Film Festival est souvent un lieu où éclosent de jeunes réalisateurs inconnus, il est aussi un rendez-vous du cinéma de patrimoine, avec plusieurs rétrospectives. Cette année, elles étaient consacrées notamment aux acteurs Tim Roth et Jennifer Jason Leigh, et à la découverte de toute une filmographie.

Comme à son habitude, le Champs-Élysées Film Festival (CEFF), festival de films « indépendants » français et américains de la capitale, a salué cette année plusieurs invités d’honneur. L’occasion, évidemment, pour plusieurs rétrospectives. Tim Roth s’est ainsi baladé sur les cinémas des Champs pour présenter  son unique film en tant que réalisateur, The War Zone (1999), mais aussi Little Odessa de James Gray (1995) (dans une improbable copie 35mm très abimée sous-titrée en français et néerlandais) ; ainsi qu’un film TV  de Mike Leigh totalement oublié (et relativement oubliable), Meantime (1983) – dans lequel un très jeune Tim Roth campe un adolescent mentalement handicapé au sein d’une famille dysfonctionnelle, dans l’Angleterre tatcherienne. Pas de Reservoir Dogs, pourtant parmi les films les plus connus et appréciés de l’acteur, ou de Huit Salopards – alors que le film de Tarantino aurait permis de faire d’une pierre deux coups, puisque sa comparse Jennifer Jason Leigh est également invitée d’honneur du festival. Bizarre ? Pas si sûr : si on regarde de plus près, les mini-rétrospectives du CEFF répondent à un brelan parfaitement équilibré : un film personnel (difficile d’inviter Tim Roth sans présenter l’unique film qu’il a réalisé), un film culte (Little Odessa), et une découverte (Meantime).

little odessa

Little Odessa (1995)

Classes de maîtres

La même stratégie s’applique à Jennifer Jason Leigh. L’actrice américaine est ainsi venue présenter un film culte, La Chair et le Sang de Paul Verhoeven (1985) ; un film personnel, Georgia d’Ulu Grosbard (1995), scénarisé par la mère de l’actrice d’après sa propre histoire, et une découverte (bien qu’on puisse plutôt parler de « pépite » ici, le film étant encore très récent), Anomalisa, film d’animation de Charlie Kaufman et Duke Johnson (2015).

Bien sûr, ces rétrospectives sont aussi l’occasion de « masterclass » – qui sont, en réalité, davantage des discussions – où l’on a par exemple appris que Jennifer Jason Leigh « adore » Isabelle Huppert, et que Tim Roth a tourné United Passion (2014) (le film sur l’histoire de la FIFA où il joue Sepp Blatter) « pour payer l’université à son fils », et que Grace de Monaco d’Olivier Dahan (2014)  (dans lequel il interprete le Prince Rainier) « aurait pu être un bon film s’il n’avait pas été massacré au montage ».

chair et le sang

La Chair et le sang (1985)

Illustres inconnus

Face à ces Invités d’Honneur connus et reconnus, le CEFF donne aussi au public parisien l’opportunité de découvrir des réalisateurs « indépendants » américains peu vus en France. L’an passé, le festival a été l’occasion de (re)découvrir le travail très visuel et émouvant d’Alex Ross Perry (The Color Wheel ; Listen Up Philip ; Queen of Earth). Cette année, ce sont les frères Zellner qui ont droit à leur rétrospective intégrale. Illustres inconnus, Nathan et David Zellner ont signé 4 longs-métrages, dont aucun n’est sorti en France. A part pour quelques aficionados et autres sundanciens, la découverte est donc totale.

Situés dans la lignée d’Alexander Payne (qui a été leur producteur) et d’autres hérauts d’un certain cinéma branché américain, les films des frères Zellner depeignent des personnages névrosés, dans l’héritage direct du Nouvel Hollywood (le héros de Goliath, leur premier film, recherchant désespérément son chat, évoque le Philip Marlowe du Privé d’Altman). Avec des mises en scène dans des tons aigres-doux, à la fois pathétiques et drôles, chez les frères Zellner, le banal devient héroïque, et l’ultra-réalisme se confond avec l’absurde. Les héros des films des Zellner sont tous déphasés, qu’ils soient adultes, comme le mari récemment divorcé qui tente vainement de mettre de l’ordre dans sa vie dans Goliath (2008), ou enfantins, à l’instar d’Annie, gamine semi-abandonnée tentant inlassablement de fuir l’enfer d’ennui de sa campagne texane, dans Kid-Thing (2012).

kumicoKumiko et le trésor des frères Coen

Véritablement, on s’étonne de découvrir ces films enfin en France, et de savoir qu’il non pas été distribués ici. Même leur nouveau film, un western avec pourtant Robert Pattinson et Mia Wasikowska, reste non daté chez nous. Mais l’étonnement se transforme presque en scandale lorsqu’on découvre Kumiko, the Treasure Hunter (2014), certainement leur chef d’œuvre. Kumiko est une jeune femme japonaise, qui vit et travaille à Tokyo. Son job de bureau ne la rend pas heureuse, et son statut de célibataire exaspère sa mère, qui aimerait bien la voir mariée. Elle mène une vie morne et stressante, de celles qui appellent au suicide. Jusqu’au jour où Kumiko trouve une veille cassette de Fargo, le film des frères Coen. Persuadée, comme l’indique le carton introductif, que ce film « est une histoire vraie », elle décide de partir dans une aventure incroyable qui la mènera au fin fond du Wisconsin, à la recherche du trésor enfoui dans la neige par Steve Buscemi à la fin de Fargo. Drôle, poétique, émouvant, Kumiko est un road-movie japonais sur les traces des pères fondateurs du cinéma indépendant américain, ou alors un film indépendant américain qui rend hommage au nouveau cinéma japonais (les ombres d’Hirokazu Kore-Eda et de Kyoshi Kurosawa planant sur tout le film). On ne sait plus bien. Ce qui est sûr, c’est que les frères Zellner sont une formidable découverte. Difficile de savoir pourquoi Sophie Dulac, patronne du festival mais également distributrice, ne les a pas emmené en France plus tôt – supposons qu’il doit y avoir de bonnes raisons. Mais mieux vaut tard que jamais, et nul doute que les frères reviendront plusieurs fois encore en France, peut être même, qui sait, dans quelques années, pour présenter Kumiko dans une étrange copie sous-titrée en danois devant un public connaissant le film par cœur.

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