Personnage historique et star de la Nouvelle Vague, le mélange n’avait d’évident pour plaire au grand public. Mais les talents conjugués de Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo ont su faire de Cartouche une grande aventure romanesque et populaire, dans la pure tradition des œuvres de cape et d’épée. Premier succès d’une longue série de collaborations entre le cinéaste et l’acteur.

Texte originellement publié dans le n°5 de Revus & Corrigés.


Dix ans après avoir produit Fanfan la Tulipe, Alexandre Mnouchkine et Georges Dancigers veulent revenir à ce qui fut un grand succès au cinéma, en confiant un rôle charismatique à l’égérie de la Nouvelle Vague : Jean-Paul Belmondo. Mnouchkine et Dancigers sentent ce que pourrait donner le comédien, jusque-là enfermé dans des films sombres, dans un film d’aventure. Dans un premier temps, ils envisagent de faire Les Trois mousquetaires, avec un casting alléchant : Belmondo, Delon, Brialy, Aznavour et Sophia Loren. Finalement l’entreprise échoue, car une autre société de production est sur le coup et ne souhaite pas lâcher sa poule aux œufs d’or. Reste que les contrats sont là. Il faut trouver un autre héros. En le cherchant parmi les personnages de l’histoire de France, bons ou méchants, les producteurs des Films Ariane tombent sur Cartouche. Ils voient dans ce brigand au grand cœur l’occasion de livrer un spectacle de grande qualité.

De Broca et Belmondo se connaissaient depuis quelques années : le réalisateur avait été l’assistant de Claude Chabrol sur À double tour, un des premiers films du comédien. Par ailleurs, un voyage à l’étranger organisé par Unifrance, afin de promouvoir À bout de souffle et Les 400 coups (sur lequel de Broca avait été assistant réalisateur), avait renforcé l’amitié entre les deux hommes. Aussi quand les producteurs évoquèrent à Belmondo l’idée que ce nouveau film soit réalisé par Philippe de Broca, le comédien s’en trouva enchanté. À partir de ce moment-là, le réalisateur va trouver en Belmondo son double, comme cela avait déjà été le cas dans ses premiers films en mettant en scène Jean-Pierre Cassel. Belmondo, lui, succède au sein du genre à Gérard Philipe et Jean Marais, mais avec beaucoup plus de panache et de brio.

Charles Spaak, à qui l’on doit notamment des scénarios pour Renoir, Duvivier, Cayatte, Christian-Jaque et tant d’autres, est engagé. Il apportera au film son caractère commercial, dans un esprit de cape et d’épée. Philippe de Broca veut, lui, aller dans une autre direction et tendre vers une tragi-comédie. Avec son complice Daniel Boulanger, ils incluent, derrière des scènes drôles ou spectaculaires, des moments plus émouvants. De Broca distille par petites touches cet esprit anarchiste, propre au personnage et qui, dans le fond, le caractérise lui-même. Il allie le lyrisme à la tragédie. Cartouche prend alors des airs d’opéra et le final, l’adieu à la belle Vénus – à certains égards, l’adieu aussi au film de cape et d’épée – le prouve parfaitement. La musique de son fidèle complice, Georges Delerue, apporte une mélancolie et amène le film bien au-delà des cavalcades propres à ce genre de film.

Malgré une minutie apportée dans la reconstitution et les décors (le repaire labyrinthique de Malichot n’est pas sans rappeler celui de la caverne de Cassel dans Le Farceur), les auteurs prirent quelques libertés avec la véritable histoire de Cartouche. Ni le Roi de France, ni la ville de Paris ne sont cités, pour éviter d’être attaqués sur la sacro-sainte vérité historique. De Broca retrouvera d’ailleurs la période de la Régence, bien plus tardivement, en réalisant Le Bossu (1996). À noter qu’il fut envisagé de donner une suite à Cartouche, qui aurait été plus tragique puisqu’elle aurait montré la chute et la mort du héros. Guère besoin d’aller jusque-là : au début du film, le héros assiste à une exécution, sachant très bien qu’il finira lui-même de la même façon « – On finira comme prévu. – Dans les mains du bourreau. – Oui, et que ça aille vite… », dit-il, plus tard.

Les dialogues des généraux sur la guerre résument assez bien également ce que pensait de Broca, lui qui avait été traumatisé par son service militaire en Algérie, quelques années plus tôt. Cartouche a horreur du sang et énonce comme premier principe à ses hommes : « Pas de meurtre ! » Par ailleurs, de Broca et les deux scénaristes osèrent quelques anachronismes comme ce dialogue : « Mais… Monsieur Le Maréchal… nous voilà ! » D’autres répliques traduisent plus subtilement la pensée profonde du cinéaste. Le film est parsemé de réflexion qui reflètent son ressenti : « On peut tout faire dans la vie, sauf juger » ou bien « Pourquoi faut-il penser à d’autres femmes… pour rester toujours avec la même ? » ou encore, plus vraie que vraie, cette devise de Cartouche, qui pourrait être celle du réalisateur : « Vivre vite et heureux ! » Voilà sans doute pourquoi Cartouche est important pour de Broca, comme œuvre singulière – et à succès – dans laquelle sont présents les éléments caractéristiques de sa filmographie. La poésie et l’aventure, la douceur et l’émotion, la comédie et l’action. Tout cela résumé par une phrase : « Amuse-toi, ça empêche de mourir… »

Pour prolonger la lecture

« Philippe de Broca avait un savoir-faire qui est difficile à retrouver dans les comédies actuelles » – Entretien avec Alexandra de Broca et Marina Girard


Cartouche
UN FILM DE Philippe de Broca
AVEC Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, Jean Rochefort
1962 – France

StudioCanal
Combo DVD / BLU-RAY
6 novemBRE 2019

En compléments de l’édition StudioCanal, un entretien (25 min.) avec Alexandra de Broca et le journaliste Thomas Morales.

Crédits images : © 1962 Les Films Ariane, StudioCanal