Vous souvenez-vous du Schtroumpf Financier ? Peyo l’a publié en 1992. C’était l’époque où Les Schtroumpfs étaient, avec peu de doute, la meilleure initiation au concept de société. Dans Le Schtroumpf Financier, le postulat est simple : lors d’une course à réaliser au bourg aux côtés d’un ami humain, un Schtroumpf sans histoire découvre la monnaie. « C’est quoi l’argent ? » demande-t-il à son compagnon, et lorsque ce dernier demande au Schtroumpf comment il fait dans son village pour avoir du pain, la réponse est on-ne-peut-plus claire : « Ben, on va en demander au Schtroumpf Boulanger et il nous en schtroumpfe un ! » La suite du travail de Peyo tient du génie, sur la découverte du monde monétaire et son incursion dans un système qui n’en a jamais eu. Au bourg, en une planche de dix cases (page 9), il définit la valeur du travail et le capitalisme. « D’abord, convaincre les autres que ce serait une bonne chose ! » se dit ensuite le Schtroumpf, sans même avoir une idée du pourquoi ce serait une bonne chose. De retour au village, notre Schtroumpf se décide à créer sa propre monnaie : ainsi demande-t-il le dessin d’une effigie au Schtroumpf Peintre, un moule au Schtroumpf Sculpteur, de l’or au Schtroumpf Mineur avant de tout remettre au Schtroumpf Forgeron – bien évidemment, sans rien leur schtroumpfer en retour. La nuit, il rêve qu’une feuille de salsepareille vaut trois sous. Après un conseil du village, l’argent est naïvement adopté et notre Schtroumpf alors sans identité devient le Schtroumpf Financier. L’incursion du concept de valeur dans le monde Schtroumpf bouleverse l’équilibre harmonieux entre les Schtroumpfs définis par des occupations plus (Cuisinier, Paysan…) ou moins (Coquet, Farceur…) utiles. Lors de l’attribution des parts à ses congénères, le Schtroumpf Financier s’en octroie une double car cette idée lui a engendré « des frais ». De nouveau la prouesse d’écriture de Peyo, qui en quelques planches amène avec une cohérence remarquable l’inflation, la
pauvreté, l’endettement, ou encore le placement rentier. Jusqu’à ce que cela casse, et qu’à la suite d’une mésaventure avec Gargamel, attiré lui aussi par tout cet or, les Schtroumpfs, dégoûtés, rejettent d’eux-mêmes l’argent. Au Grand Schtroumpf de tempérer les ambitions du Schtroumpf Financier : « Ce qui est bien pour les humains n’est pas toujours bien pour nous, les Schtroumpfs. » Et l’inverse ? D’ailleurs, le cinéma a-t-il pu nous expliquer la finance de manière aussi limpide que Peyo ? Ou, plutôt, faut-il avoir lu Le
Schtroumpf Financier avant de regarder Margin Call ? Peut-être.