Disney a tué l’enfant que j’étais. En rachetant Lucasfilm, ils ont fait de Star Wars tout ce que je ne voulais pas que cet univers devienne. Car l’enfant que j’étais s’émerveillait devant l’épisode IV, usant sa VHS encore et encore. Ce qu’il y avait de merveilleux avec les premiers films de la saga de George Lucas, c’est que l’on ne voyait qu’un tout petit bout de l’univers. On fantasmait ce qui pouvait se passer ailleurs, avant, après. Ce lore (comme on le dit maintenant) faisait fantasmer sur le hors champ comme l’imagination est stimulée à la lecture d’un roman de Verne ou Maupassant. Et quand Lucas réalisa la prélogie entre 1999 et 2005, revenant sur les origines de Dark Vador, autant de questions venaient compenser les réponses qu’il offrait. Son univers s’étendait encore, bien aidé aussi par les changements esthétiques liés aux technologies numériques. Disney a tué tout cela. Pas tant en signant les épisodes VII, VIII et IX mais en multipliant les projets annexes, les spin-off, les séries sur des personnages parfois secondaires. Rogue One, Andor, Obi-Wan, tous ces projets rétrécissent l’imaginaire, comblent les trous et standardisent notre approche de l’univers. On ne rêve plus sur Star Wars, on consomme. Cette stratégie du gavage disneyien montre que cette firme, pourtant présentée comme l’usine à rêves, a pour but non pas d’éveiller les enfants mais de les faire entrer dans le moule. Remakes live, suites à gogo, multiplication des projets au sein du Marvel Cinematic Universe, tout est pré-digéré, rien ne dépasse, surtout pas la liberté de rêver. C’est sûrement le grand défi de James Cameron maintenant qu’Avatar est tombé dans l’escarcelle de la firme aux grandes oreilles : ne pas céder à sa vision étriquée du rêve.
Car le cinéma (et les séries) sert aussi à ça : comme tout art, il peut sortir des sentiers battus et n’entre pas nécessairement dans une logique de super-rentabilité. La mort de Godard nous l’a tristement rappelé avec ses hommages mi-figue, mi-raisin. Quand l’ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot déclare sur RTL « Les films de Jean-Luc Godard ont toujours suscité chez moi un ennui profond », elle résume le dédain pour ce qui n’est pas commercial ou prémâché. Elle a le droit de ne pas aimer Godard mais pas d’affirmer son ennui, sans au moins rappeler son importance capitale dans l’Histoire du cinéma et de l’art en général. Disney, Bachelot, même logique : l’art n’a plus raison d’être, place à la consommation, sans pensée, sans évasion ni la possibilité de découvrir des formes, des moyens d’expression, des sensations nouvelles.