Réalisés sous l’égide du PCF et de la CGT, les vingt courts métrages réunis dans ce coffret proposent une traversée du cinéma militant de 1945 à 1956, des « lendemains qui chantent » de la Libération à la violence politique de la Guerre froide. Aux années de la Reconstruction et des conquêtes sociales, avec la mise en place du programme du Conseil national de la Résistance et l’arrivée de ministres communistes au gouvernement, succèdent des luttes sociales violemment réprimées dans le sang, notamment celles des mineurs en 1948 et les luttes d’indépendance au Maghreb et en Indochine. La bataille idéologique fait rage, incitant les réseaux communistes et cégétistes à mettre en place des contre-actualités filmées et le cinéma français à se mobiliser face à la concurrence américaine.
Pour la plupart interdits par la censure à leur sortie, ces films sont pour la première fois disponibles en DVD.
Plonger dans le patrimoine, c’est plonger dans l’histoire. Certains films ont fait l’histoire, d’une manière ou d’une autre, d’autant ceux qui se sont inscrit dans des courants de changements politiques, au service d’idéaux ou d’idéologies, comme outil de médiation le plus puissant du monde avant l’arrivée de la télévision. Au travers de tous les films de fiction, les documentaires et les films institutionnels répertoriés dans le coffret “Grands Soirs et beaux lendemains – 1945-1956, le cinéma militant de la Libération et de la Guerre froide” se taille le visage d’une histoire de France, sans doute partielle et partiale, mais à l’intérêt absolu comme regard sur hier, sur ce qui a changé, évolué, et ce qui se répète.
Au milieu des engagements, inévitablement peu subtils – mais c’est aussi ce qui fait leur intérêt, quelques films sont remarquables. Ma Jeannette et mes copains (1954), de Robert Ménégoz, est une splendide fiction mélangeant le documentaire dans sa description d’une petite ville de mineur, ses traditions et difficultés, dans un esprit communautaire combatif mais bienveillant, au son de la musique de Marcel Mouloudji. C’est un des plus beaux films du coffret. Robert Ménégoz travaillait déjà ce style très poétique dans Mon Ami Pierre (1951), cette fois-ci avec la voix d’Yves Montand – par ailleurs récompensé à Venise avec un prix du court-métrage « section travail ». Des films visant à échapper à une catégorisation politique trop réductrice, à fédérer autour de causes populaires traduites de manière simple et universelle, par un ton naïf, presque désuet, mais touchant et poignant lorsqu’il se confronte à une réalité sociale.
Les films institutionnels ont quelque chose de curieux dans ce qu’ils parviennent à décrire ou à préfigurer, comme Défense du cinéma français (1947-1948), visant déjà, avant l’hégémonie hollywoodienne des années 80, à faire prévaloir l’industrie nationale, à l’heure d’une reconstruction du cinéma peu évidente, après la Libération (les artistes étaient notamment clivés entre ceux qui sont partis et ceux sont restés et ont travaillé à la Continentale), face à l’afflux du cinéma américain. Quelques images sont précieuses : des manifestations où l’on croise Jean Marais ou encore Simone Signoret, au plus proche de leurs spectateurs. Un portrait de la Fête de l’Humanité de 1946 convoque un esprit rassembleur unique en son genre, où la lutte politique devenait ludique, autour de quelques friandises, devant les attractions et espaces scéniques construits pour l’occasion, drainant déjà une foule considérable – un million de spectateurs, sans même avoir besoin qu’Iggy Pop s’y produise.
Néanmoins, derrière l’innocence ponctuelle de ces films, qui rappellent aussi une époque où l’on fantasmait de nouveau sur l’avenir, il y a un regard sans concessions sur le monde qui recycle sa violence, à échelle nationale (les conflits sociaux) et internationale (les colonies). Vivent les dockers (1951), toujours de Robert Ménégoz, évoque la lutte violente, voire mortelle, entre les ouvriers des docks, assignés à décharger le matériel militaire américain contre leur gré et leurs convictions politiques, à un gouvernement engagé dans le Plan Marshall. Les images sonts saisissantes, témoin du quotidien d’une grève et de ses conséquences économiques et humaines pour ceux qui la font, au milieu de cet univers de machines, de grues démesurées. La mort y rôde, entre les cercueils des tués au combat en Indochine qui reviennent, et les dockers tués en manifestation par les forces de l’ordre, usant, comme la voix-off ne manque pas de le souligner, des grenades lacrymogènes allemandes. Mauvais souvenirs, vous êtes ma jeunesse lointaine… ?
Terre Tunisienne (1951) est un portrait édifiant du protectorat français, d’une valeur documentaire importante quand d’habitude, l’Algérie est davantage au centre des fictions et documentaires. Quand bien même le film est longuet et mollement narré, il demeure une des premières oeuvres cinématographiques anticolonialiste qui ne lésine pas sur la force de ses images et la description d’une néo-société franco-tunisienne complètement dysfonctionnelle, inégale et, évidemment, meurtrière. Les graines de l’indépendantisme du pays y germent déjà, alors que les paysans sont spoliés sans compensation, que les ouvriers s’échinent dans les mines de phosphates pour pas grand chose, et que le tout embarque à bord de cargos pour la métropole, dans des ports certes nec-plus-ultra, car il ne s’agirait pas de faire baisser ces rendements. Il faudra encore patienter cinq ans avant que la Tunisie retrouve son indépendance, preuve de l’avant-gardisme du documentaire, mais aussi de son engagement pour être témoin des exactions commises – forcément mises en scène par le montage, aux images néanmoins tout à fait réelles.
Le jeu de poupées russes entre colonisateurs et colonisés est par ailleurs vertigineux, puisque les films luttent aussi contre l’occupation culturelle américaine. La question est toujours d’actualité, mais la virulence de certains métrages, comme Les Américains en Amérique ! (1950), de Raymond Vogel, ne manquent pas non plus d’un charme désuet. Le documentaire y côtoie la fiction, des images totalement mises en scène, propagande oblige, mais pose des enjeux qui se sont répercuté d’une décennie sur l’autre. On notera peut-être l’ironie de lutter contre l’influence américaine quand l’autre bloc convoitait une hégémonie pas des moindres – mais allons bon, c’est le jeu, et cet ensemble de documentaire l’exprime parfaitement bien. Difficile, par ailleurs, de ne pas éprouvé une curiosité sincère devant des films comme L’Homme que nous aimons le plus (1949), longtemps invisible, propagande stalinienne exacerbée, mais document historique précieux, censuré, amputé, et retrouvé en 2015.
Le livret accompagnant les films, permet de reconsidérer les productions dans leur cadre historique, opérant en même temps une prise de recul. Certaines anecdotes sont passionnantes, témoin d’une époque bien moins manichéenne qu’on ne le pense, où les nuances artistiques et politiques sont partout, même derrière les extrêmes. Sans surprise, l’entretien avec Bertrand Tavernier, “Un cinéma sous influence”, recèle un savoir toujours inestimable, une vision de l’histoire du cinéma, politique ou non, par quelqu’un qui en a été contemporain, et ami avec de nombreuses personnalités. Les visions entretenues sont d’autant plus intéressantes à téléscoper dans notre actualité, tant certaines résonances se font encore sentir, dans le déséquilibre mondiale ou les luttes sociales internes. Mais que disait déjà cette chanson populaire du XIXème siècle… ? « A quoi sert d’apprendre l’Histoire, n’est-ce pas la même partout ?». Quand bien même, ces films ont encore plus de valeur à être découverts pour leur richesse historique – peut-être même davantage que leur valeur politique.
Le coffret double DVD avec son livret 136 pages “Grands Soirs et beaux lendemains – 1945-1956, le cinéma militant de la Libération et de la Guerre froide” est édité par les Ciné-Archives (dont notre rencontre est à découvrir ici), disponible depuis le 3 octobre 2017.
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