Le festival a lieu chaque année, mais monter une rétrospective est un travail de longue haleine. « Il n’est pas rare qu’on commence le travail sur une rétrospective dès un an et demi en amont de l’édition en question », explique Jérôme Baron, directeur artistique du Festival des 3 Continents. Au départ du travail, il faut définir le sujet. Plutôt que des hommages, les rétrospectives sont des occasions pour découvrir des auteurs méconnus en France, voire jamais montrés. Pour trouver ces films, Jérôme Baron et ses programmatrices Aïsha Rahim et Claire Allouche partent à la recherche des copies rares ou oubliés, en Afrique, en Amérique Latine ou en Asie. « Ce sont des auteurs qu’on découvre souvent par hasard, en fouillant dans des centres d’archives, ou à l’occasion d’un festival dans un pays étranger », poursuit Jérôme Baron. Parfois accompagnés par les CNC locaux, ils partent aussi souvent seuls, presque en aventuriers, pour découvrir des films maliens ou coréens inconnus, en version originale sans sous-titres. Si en France existent de nombreux centres d’archives et sont encouragés de nombreux projets de restaurations, ce n’est pas le cas partout ailleurs. « En Argentine ou au Chili, par exemple, il n’y a pas d’archives conservées et rien n’est fait pour sauvegarder les films », déplore le directeur artistique.
Des spectres hantent les salles
Cette année, le festival propose justement une rétrospective sur le cinéma argentin. Trouver et obtenir les copies n’a pas été chose facile. « Sur les 23 films présentés, 16 sont projetés depuis des copies qui proviennent de collections privées », explique Jérôme Baron. Fernando Martin Peña, historien et critique de cinéma argentin a ainsi prêté au festival de nombreux films issus de sa collection privée, riche de plus de 7000 copies dont certaines – et c’est le cas de quelques-uns des films présentés – sont uniques. « Forcément, on les manipule avec beaucoup de précision. C’est un peu des trésors », explique Jérôme Baron. Comme ce sont des pièces uniques et fragiles, le plus dur est souvent d’obtenir l’accord des collectionneurs pour un prêt. Car même si le but premier d’une copie de film est d’être projetée, chaque projection abime davantage la pellicule. On oublie souvent cette matérialité du cinéma. Jérôme Baron en a pourtant bien conscience : « si on perd la copie, le film est perdu. Définitivement ». Le directeur artistique voulait ainsi montrer Evil Night (1950), le tout premier film du réalisateur sud-coréen Shin Sang-Ok, dans le cadre de la rétrospective que le festival lui consacre. Jérôme Baron se souvenait avoir vu ce film il y a bien longtemps. Après plusieurs recherches, il est retombé sur la seule copie restante. Mais elle était très abîmée, partiellement détruite. Seuls 10 minutes étaient encore visibles. Et personne n’avait fait de sauvegarde. Le film a disparu, est perdu, n’existe plus. Des exemples comme ça, Jérôme en a plein. Le Festival programme ainsi les 20 dernières minutes de Chōkon (1926), film de sabre japonais de Daisuke Itō. Vingt minutes, soit le dernier rouleau de pellicule, c’est tout ce qu’il reste de ce film souvent qualifié par ceux qui l’ont vu d’ « inouï ». « On a l’impression de voir la naissance du combat de sabre au cinéma », commente Jérôme Baron.
Avant qu’ils ne disparaissent
Pour sauver un film avant sa disparition, la solution est pourtant très simple, mais onéreuse. Il faut restaurer le film, ou au moins faire une copie neuve. Jérôme Baron espère qu’un jour l’Argentine s’apercevra de ce trésor en voie de disparition et que de l’argent sera investi pour le conserver. Le rôle d’un festival, comme celui des 3 continents, par une rétrospective, est aussi de légitimer ce nécessaire travail de conservation. « Les pays industrialisé et dotés de centre d’archives font bon an mal an des efforts de conservation et de restauration du cinéma de patrimoine, et puis il y a d’autres pays où on est en terrain vague total », commente celui qui fait notamment sa programmation avec des films issus de cinématographies encore qualifiées aujourd’hui d’ « émergentes ». Parfois, il suffit de pas grand-chose, beaucoup de lucidité et un peu de hasard, pour sauver un film. Jérôme Baron se souvient ainsi d’un film angolais, essentiel pour l’histoire du cinéma africain, que tout le monde pensait perdu. L’équipe du festival avait réussi à mettre la main, l’an passé, sur une cassette Betacam SP contenant le film – probablement l’unique version survivante. La cassette était dans un état déplorable. Jérôme Baron et son équipe ont pensé à faire une copie DVD du film. Heureusement, la copie a bien fonctionné, car la cassette s’est détruite dans le lecteur. Aujourd’hui de ce film, seul reste une mauvaise copie DVD issue d’une Betacam abimée. Mais au moins, le film est sauvé.
Exigez l’authentique
« Faire une rétrospective dans un festival comme le nôtre, c’est aussi l’occasion de mettre la lumière sur un besoin urgent de restauration d’une filmographie », explique Aïsha Rahim, de l’équipe de programmation, rappelant ainsi les missions du Festival des 3 Continents. « Il s’agit aussi de rappeler les conditions dans lesquelles doivent s’opérer ces restaurations », complète Jérôme Baron, déplorant la numérisation certes massive mais plus que douteuse des films de patrimoine en Inde ou en Chine. « Les gens qui font ça ne sont pas du tout des archivistes, et on assiste parfois à des choses ahurissantes. Les Chinois colorisent leurs films, par exemple, pour les rendre plus contemporains ».
Société intégrée
Mais face à la rareté, il arrive aussi, pour certaines programmations, que le directeur artistique croule sous l’opulence. Jérome Baron se souvient ainsi de la rétrospective Nikkatsu, du nom du mythique studio japonais qui fêtait son centenaire en 2012. « Nikkatsu, explique Jérome Baron, c’était jusqu’à 250 films en un an. Comment choisir quoi montrer ? C’était humainement impossible de tout voir ». Le directeur artistique a mis 18 mois pour en extraire une programmation. Un travail long, et cher. Comme souvent dans une rétrospective. « Après le travail de recherche et de sélection, il faut prévoir l’acheminement des copies, ainsi que le doublage », explique Jérôme Baron. Des doublages souvent faits « à l’oreille », faute d’avoir une piste de dialogue écrite à disposition. Le festival crée ainsi de nombreux sous-titres de films rares, qui n’ont pas de distributeurs français, dans un contrat de partage de droits avec le traducteur, et sont ainsi souvent contactés pour des locations – un moyen de compenser certains frais de fabrication.
A force, le Festival des 3 Continents est devenu la référence quand on parle de cinématographie d’Amérique Latine, d’Afrique ou d’Asie – en particulier quand il s’agit de films rares. Au point, peut-être, d’acquérir des droits d’exploitation de ces films. De devenir distributeur. « L’idée est en germe, confesse Jérôme Baron, mais ça nécessiterait cinq personnes à plein temps ». Et donc des créations de postes. Dans un contexte économique difficile pour le festival, ce n’est pas gagné. Mais pas impossible. « On en reparlera l’année prochaine », conclut le directeur artistique de festival, un sourire en coin, avec l’air d’avoir plus d’une idée derrière la tête.
Article co-édité avec Bande à part.
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