L’intrigue

En 1880, à l’orée du siècle naissant, Edison invente l’électricité au Menlo Park de New York, alors que deux jumelles voient le jour à Budapest. Ayant perdu leurs parents, elles sont séparées. Plus tard, en 1900, l’une d’elle est devenue une femme fatale, l’autre anarchiste. Sans le savoir, elles ont une relation avec le même homme…7


Côté pile, côté face

Tandis qu’en 2017 son dernier long-métrage Corps et âme remporta l’Ours d’or à la 67e Berlinale, la cinéaste hongroise Ildikó Enyedi voit son premier film renaître dans une version restaurée, une œuvre curieuse et hors du temps vers une filmographie où les réalités s’entremêlent à l’écran. Reportant la Caméra d’or au Festival de Cannes de 1989, Mon XXe siècle ne paraît pas comme un film sorti à la fin des années 1980. Les emprunts et tâtonnements inhérents des premiers long-métrages vont chercher dans la sobriété de la construction des cadres d’une époque plus ancienne du cinéma. Sans doute pas jusqu’à sa naissance, période durant laquelle se déroule cette histoire double, dans laquelle l’actrice Dorota Segda se voit même triplée à l’écran par la cinéaste en mère et filles.

De double il en est question à plus d’un titre. Séparées dans leur jeunesse miséreuse, Dóra et Lili grandissent dans deux milieux différents : l’une devenant une bourgeoise vénale et suffisante, l’autre une militante féministe et anarchiste. Ces deux extrêmes sont ceux de cette société hongroise qui, au début du XXe siècle, n’existe plus vraiment. Le pays a été englobé dans l’Empire Austro-hongrois. Les plus riches n’ont eu aucune difficulté à s’adapter au changement, alors que les plus pauvres n’ont plus rien à perdre. Cependant, le drame n’est pas total. Au-delà de cette lutte des classes entre deux sœurs en miroir, un homme va se trouver malgré lui à l’horizon de la réflexion. Oleg Yankovskiy, dont l’incarnation se résume à la seule lettre Z, apparaît comme l’objet d’un double désir. L’un prude et farouche de Lili, l’autre sulfureux et dominateur de Dóra. À chaque rapprochement, Z cherche chez l’une ce que l’autre lui offre de plein gré, comme si l’amour du corps et de l’âme avait été séparé entre les deux sœurs.

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Malgré les kilomètres qui séparent les errements de Dóra et Lili, Ildikó Enyedi maintient deux étranges films conducteurs dans Mon XXe siècle, comme deux réalités en opposition totale. Le long-métrage s’ouvre d’ailleurs vingt ans plus tôt, avec la naissance des deux jeunes femmes, mais surtout par l’invention de l’électricité par Thomas Edison. Le film sera ponctué par les avancées technologiques du scientifique américain et qui auront un retentissement sur le monde. Or, la véritable poésie qui se dégage de la mise en scène de Ildikó Enyedi passe par cet univers fantasmagorique, dont les étoiles brillent autant que les ampoules d’Edison, mais vivent et chantent ! Vivant dans ce monde globalisé de luttes sociales et de révolutions technologiques, Dóra et Lili partagent cet autre monde fantastique qui lui s’ouvre à l’infini.

Mon XXe siècle pose clairement les bases du cinéma de Ildikó Enyedi qui se plait à perdre ses spectateurs entre les réalités, les époques et les conventions. Ainsi, son premier film aujourd’hui restauré n’a rien perdu de son charme étrange, entre sensualité et féminisme engagé. La mise en scène oscille avec grace entre le drame social (et sociétal) et des séquences aux interventions animalières dignes des grands moments du burlesque jusqu’à un final éthéré, libre tout simplement.

Mon XXème siècleAz én XX. századom  (1989)
Un film de Ildikó Enyedi
avec Dorota Segda et Oleg Yankovskiy

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