Dernier film de Bo Widerberg, La Beauté des choses flirte avec l’autoportrait testamentaire – le cinéaste décèdera deux ans après la sortie. Les souvenirs de jeunesse se mêlent à une chronique adolescente autour d’un amour interdit entre un lycéen et sa professeur, et la découverte de la sexualité, déséquilibrée, incandescente et risquée.

Pour Bo Widerberg, La Beauté des choses était aussi une pulsion intime, de longue date : un scénario écrit dix ans auparavant, déjà dans la perspective d’y faire jouer son fils, Johan Widerberg, avec qui il ne manqua pas de se brouiller durant des années – en cause, son départ du foyer pour une nouvelle femme. Tout ceci est retranscrit, en surface ou dans les détails, au sein du film : le jeune Stig, interprété par le fils Widerberg, est en conflit avec la figure paternelle, alimentant son désir d’aller braver l’interdit vis-à-vis de son professeur, Viola, la splendide Marika Lagercrantz. Le film s’alimente de la sorte d’un certain nombre de nuances émotionnelles, toutes en lien avec le cinéaste et sa jeunesse dans la Suède des années 1940, neutre durant la Seconde Guerre mondiale en arrière-plan. Les traumas s’y télescopent, mais ne sont pas en surface : comme la relation secrète entre l’élève et sa maitresse (dans tous les sens du terme) ; comme l’incident du sous-marin Ulven qui hanta à l’époque la Suède (le bâtiment percuta une mine et sombra avec ses 33 membres d’équipage), et hante Stig qui y perd son frère aîné.

Le refus d’un dispositif artificiel émis très tôt par Widerberg, comme dans son polar Un Flic sur le toit (1976), contestation vis-à-vis d’un certain cinéma suédois (notamment celui de Bergman, que pourtant il côtoya et pour lequel il fut comédien au théâtre), est ici peut-être plus nuancé que par le passé. Il y a toujours le refus du studio ou de stylisation excessive, mais il trouve dans La Beauté de choses un film d’une élégance formelle indéniable, notamment permise par la photographie du chef opérateur Morten Bruus dont la carrière va en ce sens, entre esthétisme (chez Gabriel Axel) et réalisme social (chez le danois Erik Clausen). Au fond, la démarche de La Beauté des choses – et sa douceur inhérente néanmoins mâtinée de souffrance – fait penser à un film de François Truffaut (qui partage avec Widerberg le point commun d’avoir été aussi critique), dont Le Dernier métro (qui s’alimente aussi de souvenirs d’enfance durant la guerre…) et les films suivant nuançaient tout un discours sur la forme de cinéma tenu auparavant. L’image de La Beauté des choses vise le sensoriel, dans sa restitution des textures et de l’atmosphère (comme des souvenirs d’enfance, encore, des odeurs, du toucher), jusqu’à la texture-même du corps vis-à-vis de l’érotisme entre Viola et son jeune amant Stig.

Lust och fägring stor

Évidemment, le fantasme, l’idylle, ne dure qu’un temps, bientôt corrompue par la faiblesse psychologique de l’adolescent face à la manipulation (involontaire ?) de l’amante mariée – il y a matière à repenser face à questionnements récents quant à la relation abusive et le consentement entre majeurs et mineurs. À l’instar de Mourir d’aimer d’André Cayatte, avec une histoire similaire entre une prof et son élève, la chronique de vie adolescente de Widerberg se transforme alors en tragédie. La photographie se rigidifie, les fameuses textures se figent, les relations entre les personnages deviennent troubles et complexes, loin de leur pureté originelle. Stig s’éprend d’amitié pour le mari de Viola, Frank, et sa désespérance. La mélancolie sous laquelle Bo Widerberg place son dernier film est émouvante mais reste délicate – le titre français y est peut-être pour quelque chose, quant celui suédois signifie « désir et attachement », sentiments à double-tranchant. Berlin aura su rendre hommage au cinéaste en auréolant d’un Ours d’Argent La Beauté des choses, parachevant avec justesse une filmographie de plus de trente ans.

La Beauté des choses - affiche version légère

Lust och fägring stor
Un film de Bo Widerberg
Avec Johan Widerberg, Marika Lagercrantz
1995 – Suède

Malavida Films
Cinéma
29 janvier 2020

La Beauté des choses est également disponible en DVD, édité par Malavida Films, accompagné d’un livret de 16 pages autour de Bo Widerberg et du film, notamment des articles signés Marten Blomkvist et Stig Björkman.

Texte publié le 26/01/2018, mis à jour le 28/01/2020.


2 commentaires

GUY · 8 février 2020 à 22 h 13 min

Bsoir ,
J’ai vu ce film en V O dans une salle à Montpellier , ces jours derniers . J’ai eu la même impression et le souvenir du film Français plus ancien avec cette histoire similaire : “Mourir d’aimer” qui effectivement fut plus tragique pour le dénouement .On s’aperçoit aussi des bavures , de la “neutralité” Suédoise pendant cette deuxième guerre Mondiale , il en fut de même pour la Suisse , qui elle aussi a subi des bavures , comme le bombardement par erreur dans le canton de Genève , à cause de la méprise de pilotes Anglais je crois . Mais j’ai constaté une petite séquence incohérente , dans le sens : La séquence concerne le départ du mari de l’enseignante en voiture et on remarque que la conduite intérieure est à gauche ! …….Alors que la Suède avait à l’époque jusqu’en 1967 , la conduite à l’Anglaise , donc intérieure à droite … Curieux !
Pierre

Jeu-concours #3 : un DVD de La Beauté des choses de Bo Widerberg à gagner ! – Revus et Corrigés · 27 janvier 2018 à 13 h 09 min

[…] avec Malavida Films, Revus et Corrigés vous fait gagner un DVD de La Beauté des choses (retrouvez notre texte), le dernier film du réalisateur suédois Bo Widerberg. Le film est accompagné d’un livret de 16 […]

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