Bien avant les récentes bandes de super héros sabordées par leurs propres studios, il existait ce savoureux OVNI foutraque qu’est Mystery Men. Le film de Kinka Usher vaut encore et surtout pour l’assemblage improbable et très sympathique qu’il représente à l’écran, retournant le schéma éculé aujourd’hui du héros-concept en mettant en avant l’humain, si dénué de talent soit-il, derrière le costume et parvient, dans un n’importe quoi assumé, à trouver un curieux équilibre entre désir d’anti-système et blagues de prout. 

Ah, les années 90 ! Véritable Moyen-Âge pour cette ère des films de super-héros qui ont dominé le box office pendant deux décennies, et qui pullulent encore par tous les pores des studios américains ad nauseam. Mais quel bonheur de redécouvrir en haute définition ce Mystery Men, queue de comète de cette période riche de projets bancals au mauvais goût certain. Car avant que les premiers X-Men de Bryan Singer et Spider-Man de Sam Raimi n’en sonnent l’heure de la Renaissance en 2000 puis 2002, l’adaptation de comic-book demeuraient une entreprise périlleuse côté rentabilité. Si les héros imprimés de couleurs vives ont su rarement inspirer les meilleurs, de Richard Donner à Tim Burton notamment, la manne opportune qu’ils représentaient pour quelques cols blancs mal avisés d’Hollywood a engendré une vague de nanars millionnaires de leur budget et pas toujours de leurs recettes.

Les studios se lancent dans une belle partie de poker menteur, raclant leurs fonds de tiroirs des œuvres en bout de droit. Bien sûr, il est de bon ton de vilipender aujourd’hui les Batman Forever (1995) et Batman & Robin (1997) d’un Joel Schumacher qui, désireux d’adapter au départ Batman: Year Zero, s’était vu retoqué par la Warner bros. selon qui mettre en scène les origines de l’homme chauve-souris de façon trop sombre et réaliste ne fonctionnerait pas ! Ils s’agissaient des mêmes qui avaient écarté Burton après que son baroquissime chef-d’œuvre Batman le défi (1992) ait fait fuir les sponsors familiaux. Car, restons sérieux, il faut vendre des jouets, des céréales et tout le toutime ! Qui se souvient alors du premier Capitaine America (1990), Tank Girl (1995), Barb Wire (1996), Le Fantôme du Bengale (1996), Spawn (1997), Steel (1997) ? Et personne pour les 4 fantastiques de 1994 qui ne sortit jamais de la salle de montage ! C’est à ce se demander comment ce Mystery Men a-t-il réussi, lui, à parvenir jusqu’en salles, vendu tel le blockbuster de l’été 1999 ?

Nos joyeux pieds nickelés face à leur première mission

De zéros en héros

À l’instar d’erreurs cinématographiques bienheureuses, le film nait surtout d’un fantastique malentendu au sommet. La Universal s’emballe pour un pitch de Mike Richardson, éditeur chez les comics Dark Horse. Celui-ci s’inspire du comic absurde Flaming Carrot de Bob Burden (dans lequel un homme au visage semblable à une carotte géante fait respecter la loi) et imagine la parodie ultime des films de super-héros en imaginant toute un ensemble aux pouvoirs stupides, voire inexistants. Constatant que le ridicule ne tue pas encore la concurrence, le studio se lance au premier degré dans l’aventure Mystery Men dans laquelle le caractère léger (et donc familial) de la comédie est assumé dès le départ : bon point pour l’équipe marketing et merchandising qui se frotte déjà les mains de la ribambelle de protagonistes costumés qui s’annonce.

L’information circule vite que Danny “le terrifiant Pingouin de Tim Burton” DeVito est sur les rangs pour réaliser le film. Mais les studios préfèrent assurer leurs arrières en confiant le bébé à plusieurs millions de dollars, comme il est alors de coutume, à un jeune prometteur ayant poussé dans le monde de la pub. Kinka Usher vient d’être auréolé du Prix du Meilleur réalisateur de publicité par la prestigieuse Guilde des cinéastes d’Hollywood. C’est sur lui que la Universal jette son dévolu, à lui seul et à tel point que l’idylle montre rapidement quelques craquelures quand celui qui devait être le gentil soldat obéissant fait la moue devant le scénario pondu par Neil Cuthbert et exige de le réécrire à son goût en poussant le second degré au maximum et s’émanciper du matériau originel. Impensable aujourd’hui : le studio accepte. Mais si Kinka Usher gagne cette première bataille, il ne sait pas encore qu’une terrible guerre d’usure l’attend pour préserver l’indépendance de son âme d’artiste.

Geoffrey Rush est le malfaisant Casanova Frankenstein

Contre toutes attentes (là encore), le réalisateur n’a pas à jouer des coudes pour son casting. Il doit cependant composer avec une étrange mixture que concoctent ses producteurs, souhaitant un casting assurément comique mais que l’on saurait aussi prendre au sérieux. Retrouve-t-on ainsi à l’écran : Ben Stiller (superstar de la comédie US après le carton de Mary à tout prix qui a hésité à laisser tomber le projet), Janeane Garofalo (comparse de Stiller sur le petit écran et l’ayant convaincu de rester), William H. Macy (nommé à l’oscar du Meilleur second rôle dans Fargo), Geoffrey Rush (nommé à l’oscar du Meilleur second rôle dans Shakespeare in Love), Paul Reubens (l’éternel personnage de Pee-wee Herman), Wes Studi (Le Dernier des Mohicans), Hank Azaria (surtout connu pour ses performances vocales dans Les Simpsons) ou le chanteur Tom Waits. Mais de cet ensemble hétéroclite naissent de vives tensions qui éclatent pendant un tournage émaillé de nombreuses réécritures, opérées par chacun des participants sur leur incarnation respective.

Nanard anar'

L’une des forces indéniables de Mystery Men est l’empathie authentique que le film suscite envers ses anti-héros. Alors que tous leurs alter egos cinématographiques sont pensés pour triompher royalement, ceux du film de Kinka Usher font constamment peine à voir. Ils ressemblent plus à de pathétiques fans en costume échappés d’une convention de bande dessinée. La petite vie de famille rangée de La Pelle (William H. Macy) qui vacille par sa passion à rendre justice en panoplie d’ouvrier de chantier, ce vieux garçon de Fakir bleu (Hank Azaria) qui n’a de bleu que de nom et habitant encore chez sa mère pour lui piller en munitions ses fourchettes et cuillères, ou ce Monsieur Furieux (Ben Stiller) qui échoue dans tout ce qu’il entreprend… Mystery Men présente un rapport particulièrement terre à terre avec ces personnages incongrus, alors que leur modèle n’est autre que le Capitaine Admirable (Greg Kinnear), une sorte d’Iron Man imbu de sa personne recouverte des logos de ses sponsors publicitaires.

Capitaine Admirable, le grand sauveur... du capitalisme

Malgré toutes les bonnes volontés du monde, le film souffre d’un manque de vision globale et de cohérence qui viciait le projet dès son départ. Poussant par exemple Stephen H. Burum (directeur de la photographie de Brian de Palma d’alors) à épouser la photo fluo des Batman de Schumacher ou la bande originale qui oscille entre Stephen Warbeck (remarqué sur Shakespeare in Love mais au style ici hors sujet) et les morceaux additionnels plus en adéquation de Shirley Walker (compositrice de la série animée Batman), Mystery Men brouille les pistes en permanence entre premier et second degré. Par intermittence, le rythme comme les les blagues ou les effets spéciaux sont à la ramasse. Son échec en salles n’a rien d’étonnant. Il n’empêche que l’énorme sympathie qui se dégage de ces non héros d’un jour sauve clairement le long-métrage et lui aura bâti une réputation solide dans les vidéoclubs a posteriori.

Nombreux chercheront à oublier ce film dans leur carrière. Kinka Usher restera lui l’homme d’un seul film. Il jette son tablier hollywoodien pour retrouver sa liberté infinie de pubard, contrairement à son comparse Michael Bay auquel il accorde une apparition. À le revoir après les tristement insipides Suicide Squad, Justice League ou Avengers 4000, Mystery Men remporte la bataille par KO par son caractère profondément humain, en se moquant ouvertement du système de la pop culture mainstream industrialisée qui l’a vu naître pour retourner ses propres arguments contre lui et s’achevant plus noblement en rappelant que les véritables héros ne sont pas des extraterrestres surpuissants ou des milliardaires épris de justice, mais sont les invisibles bien réels en charge des petits boulots, ceux qui, comme ces outsiders sortis de nulle part, ne seraient rien.

Alexis Hyaumet

Mystery Men

MYSTERY MEN
Un film de Kinka Usher
avec Ben Stiller, William H. Macy, Hank Azaria
1999 – États-Unis

L’Atelier d’images
En Combo Blu-ray/DVD

21 juillet 2020

Avec le film accompagné du commentaire audio du réalisateur, les suppléments rassemblent de nouveaux reportages rétrospectifs sur les costumes (12 min.), les effets spéciaux (9 min.), la bande originale (8 min.) et le tournage (23 min.) avec un discours moins langue de bois sur le cours de la production, à l’opposé d’un making of promo d’époque (18 mins.) bien verrouillé par les studios. Des scènes coupées (20 mins.) nous laissent également entrevoir les autres pistes abandonnées en cours de route par le réalisateur, sapé par ses commanditaires plus haut placés.

Crédits images : © 1999 Universal Pictures, Tous droits réservés

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