« Mettre le cinéma au service de la révolution ». En Mai 68, les artistes utilisent caméras et appareils photos pour témoigner de la crise sociale qui secoue la France. Ce sont des documents rares, parfois même jamais diffusés, qu’a pu découvrir une salle pleine à craquer. Une manière de terminer en beauté ces 18e journées cinématographiques dionysiennes dédiées aux rebelles en tout genre. Les œuvres projetées ici sont plus des témoignages directs d’une époque qu’un geste esthétique. Les images sont brutes, violentes, et nécessaires pour montrer la réalité de ces évènements sous le regard de ceux qui l’ont vécu côté militant. Et au moment où nous nous apprêtons à fêter le cinquantenaire des manifestations, cet épisode de l’histoire contemporaine a un écho tout particulier avec l’actualité.

Une production à l’époque extrêmement dense dans laquelle il fallut piocher pour réaliser cette projection. La Cinémathèque française a sélectionné les six courts-métrages les plus représentatifs issus de ses fonds. Actualités militantes, cinétracts, rushes non montés et courts-métrages documentaires plus classiques étaient au programme. « Nous avons essayé de montrer la diversité de ce cinéma militant, avec des documentaires sur les grèves ouvrières et des images sur les manifestations parisiennes, des films professionnels qui répondent à des documents amateurs » explique Samantha Leroy, chargée de la valorisation des collections de la Cinémathèque Française. « Tout les citoyens se sentaient concernés. L’objectif était de faire une contre-information, en opposition à ce qui était diffusé sur l’ORTF, considéré comme un instrument du pouvoir. »

Sochaux, 11 Juin 68

Sochaux, 11 Juin 68 © Iskra

Le public du festival a pu ainsi découvrir sur grand écran l’un des documents emblématiques de l’époque, Sochaux, 11 juin 68 de Bruno Muel et le Groupe Medvedkine de Sochaux. Réalisé deux ans après les faits, on y découvre le témoignage des ouvriers des usines Peugeot sur les violences policières à l’encontre des grévistes qui ont fait deux morts et de nombreux blessés ce fameux 11 juin. Des témoignages face caméra à laquelle se superposent des images d’archive. Face à ce documentaire classique dans sa forme, les autres films montrés font plus office d’expérimentation révolutionnaire, avec des images tournées et diffusées dans la foulée, parfois sans passer par l’étape montage. Très rapidement des collectifs d’artistes se forment. Professionnels comme amateurs s’emparent de leur caméra et de leur appareil photo pour aller capturer sur pellicule ce qu’il se passe dans les rues et dans les usines. Les grèves générales, les cortèges et les violences policières qui vont hélas avec, sont filmés dans le style le plus brut. Dans Paris, Mai 1968 de Charles Matton et Hedy Khalifat, des photos et des extraits de films amateurs mettent en exergue la répression violente des forces de l’ordre à l’égard des manifestants. Affiches, slogans et graffitis sont quand à eux les héros du Journal Mural de Bernard Eisenschitz et Jean Narboni. Ils recoupent dans leur film des rushes montrant la diversité et l’originalité des slogans et dessins révolutionnaires de l’époque, moyen de communication efficace et collaboratif. Un cinéma réalisé dans l’urgence et qui était projeté lors de réunions militantes.

Mais le film le plus fascinant de cette sélection est Actua 1, de Philippe Garrel, Serge Bard et Patrick Deval. Des actualités révolutionnaires visant « à montrer l’état des forces de police, l’oppression qui s’accentue et la fascination qui s’ensuit » selon les mots de Garrel. Retrouvé il y a quelques années seulement, c’est un film aussi politique que poétique, dont les scènes nocturnes ont été tournés par un groupe d’étudiants contestataires avec des caméras 16mm réquisitionnées de l’ORTF. Projeté une seule fois à l’époque, à Nanterre, il symbolise une liberté d’expression totale, une liberté qui fait du cinéma une arme de poids dans la révolte.

Actua 1

Actua 1

Une liberté qui se caractérise aussi à travers les fameuses Ciné-tracts, courts essais filmiques tournés sur des bobines 16mm ayant pour but d’exprimer ses pensées et ses réactions sans entrave. Un exercice auquel se sont prêtés Jean-Luc Godard, Alain Resnais ou encore Chris Marker. Une cinquantaine de Ciné-tracts ont été restauré par les équipes de la Cinémathèque française, soit autant de points de vue sur les évènements de Mai 68. Des éléments uniques qu’il a été nécessaire de retrouver et de numériser avant de pouvoir enfin les diffuser de nouveau sur les écrans. « Il a fallu prospecter, contacter les cinéastes de l’époque pour retrouver des films ». Et il y a eu ces dernières années de belles découvertes. Comme ces douze heures de rushes tournées par le collectif ARC retrouvées dans les archives d’une section du parti communiste italien il y a trois ans, dont quelques minutes autour des grèves de la gare de Lyon ont été projetées lors de la soirée.

Pour en découvrir plus, rendez-vous en mai à la Cinémathèque française, qui projettera de nouveau des films autour de cette thématique lors de séances exceptionnelles, et dans d’autres festivals en région où des cartes blanches de ce type seront organisées, et dont nous vous tiendrons évidemment au courant.

 


1 commentaire

CINEMA – Alicia Arpaïa – Journaliste · 18 mars 2018 à 9 h 48 min

[…] Mai 68, le Cinéma est une arme (la revue en ligne, février 2018) […]

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